Le jardin mouillé – Henri de Régnier

La croisée est ouverte ; il pleut
Comme minutieusement,
À petit bruit et peu à peu,
Sur le jardin frais et dormant.

Feuille à feuille la pluie éveille
L’arbre poudreux qu’elle verdit ;
Au mur, on dirait que la treille
S’étire d’un geste engourdi.

L’herbe frémit, le gravier tiède
Crépite et l’on croirait là-bas
Entendre sur le sable et l’herbe
Comme d’imperceptibles pas.

Le jardin chuchote et tressaille,
Furtif et confidentiel ;
L’averse semble maille à maille
Tisser la terre avec le ciel.

Il pleut, et les yeux clos, j’écoute,
De toute sa pluie à la fois,
Le jardin mouillé qui s’égoutte
Dans l’ombre que j’ai faite en moi.

Les Médailles d’argile
Société du Mercure de France,1900


voir également la page Galeries –> Textes choisis