Le baron perché – Extrait – Italo Calvino

Texte audio :

Le monde s’était transformé : il était fait de ponts étroits et incurvés tendus dans le vide, d’écorces où noeuds, écailles et rides semaient leurs rugosités ; il baignait dans une lumière verte qui changeait avec l’épaisseur et la consistance du rideau des feuilles tremblant au bout de leur pédoncule, sous le moindre souffle d’air, ou ondoyant comme une voile lorsque l’arbre s’inclinait.

Notre monde à nous se nichait dans les bas-fonds, nous avions des silhouettes bizarres et ne connaissions assurément rien de ce qu’il percevait chaque nuit : le travail du bois qui gonfle de ses cellules les cercles marquant les années au coeur des troncs ; les moisissures qui dilatent leurs plaques au vent du nord ; le frisson des oiseaux endormis qui blottissent leur tête au plus doux de l’aile, l’éveil de la chenille et l’éclosion de la pie-grièche.

Il est un moment où le silence de la campagne se forme, au creux de l’oreille, d’une menue poussée de fruits : un croassement, un glapissement, un froissement furtif dans les herbes, un clapotis dans l’eau, un piétinement entre terre et cailloux, et, dominant tout autre son, le crissement des cigales…

Les bruits se mêlent l’un à l’autre, l’ouïe parvient parvient toujours à en discerner de nouveaux, comme, sous les doigts qui cardent un flocon de laine, chaque noeud se révèle fait de brins plus fins, plus impalpables encore.

Les grenouilles ne cessent de coasser et cette basse continue ne trouble pas plus le fourmillement sonore que la continuelle palpitation des étoiles ne change la lumière de la nuit.

Mais que s’élève ou que passe le vent, tous les bruits aussitôt se transforment et se renouvellent.
Seul reste, au plus profond de l’oreille, l’ombre d’un mugissement ou d’un murmure – celui qui vient de la mer.


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1 réflexion sur “Le baron perché”

  1. Une écriture magnifique et une belle invitation à retisser des liens avec la nature et le vivant …

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